Je me tenais pantois au centre du pont Széchenyi, ouvrage emblématique de Budapest avec ses chaînes reliant deux tours colossales gardées par des lions finement sculptés. Le Danube, fleuve traversant de part en part la ville, coulait doucement sous mes pieds. Le charme du riche patrimoine culturel et architectural de la capitale de la Hongrie m’ensorcelait, peu importe la direction vers laquelle se posait mon regard : le Parlement monumental avec ses quelque 700 pièces, le château royal haut perché sur les collines, la cime du dôme de la basilique Saint-Étienne surpassant tous les édifices. Me délectant depuis quelques jours de ces lieux magiques, je n’avais encore qu’une chose à découvrir : la gastronomie authentique hongroise. J’étais toutefois sceptique. Les préjugés demeurent nombreux quant à ses plats traditionnellement caloriques et copieux. Pourtant, selon plusieurs réputés gourmets, cette cuisine s’est grandement raffinée au cours des dernières années, s’adaptant au goût du jour pour devenir l’une des meilleures d’Europe.
Cuisine de style brasserie européenne
J’entre dans le petit vestibule du Kárpátia, l’un des plus vieux restaurants de la ville, datant de 1877. Les vitraux colorés, les rideaux en velours bourgogne et les portes en bois massif annoncent un voyage gourmand vers une autre époque. Mon intuition est confirmée aussitôt que mon hôte, galamment vêtu d’une veste et d’un nœud papillon noirs, ouvre la voie vers une première salle. Ce décor s’étend maintenant à des banquettes avec des lampadaires délicatement travaillés sous de hauts plafonds voûtés et des fresques historiques peintes à la main, rappelant ses origines de monastère franciscain. Ma vie de monarque ne fait cependant que commencer, car il ne s’agit que du söröző, un espace plus convivial de style brasserie pour les repas du midi.
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L’espace principal, gigantesque, souffle tout autant par ses dorures, son ameublement patrimonial et ses images de conquérants. Le maître d’hôtel nous assied, ma femme et moi, à une table joliment nappée de blanc. Après un coup d’œil salivant au menu des plus variés, j’arrête mon choix en entrée sur une succulente crêpe farcie de foie gras d’oie et de lecsó, sorte de ratatouille hongroise, baignant dans une sauce crémeuse au paprika. Devrais-je être surpris de trouver cette épice dans mon assiette? Pas vraiment, car le pays produit 10 000 tonnes de cet or rouge annuellement et chacun de ses habitants en consomme 500 grammes bon an, mal an.
Tandis que ma tendre moitié termine son entrée, une halászlé, une soupe de poisson dans un bouillon de poulet, généreusement assaisonnée de, vous l’aurez deviné, paprika, mon plat principal fait son apparition sous une cloche métallique soulevée par mon serveur, efficace et courtois. Apparaît une montagne de lanières épicées de filets mignons de mangalitza, un porc laineux proche cousin du sanglier, sur un nid de nokedlis, de petites pâtes qui ressemblent à des gnocchis. Mon épouse a quant à elle joué la carte sûre en y allant de la légendaire goulache, ce ragoût symbolique de la Hongrie, qui s'apparente à un bœuf Stroganoff, légèrement tomaté et relevé entre autres de graines de carvi et de... paprika!
… le pays compte 22 régions vinicoles et des vedettes mondiales comme le Bikaver, souvent désigné sous le sobriquet de « sang de taureau ».
Soirée royale
Cela ne pourrait toutefois trouver son équilibre sans la pièce maîtresse, un vin exquis recommandé par le sommelier, un Szekszárdi Merlot 2007 de la Maison Vesztergombi, un rouge foncé harmonieux et corpulent aux arômes de baies sauvages. Les délicieux nectars du resto Kárpátia sont d’ailleurs exclusivement hongrois. Rien de surprenant, car le pays compte 22 régions vinicoles et des vedettes mondiales comme le Bikaver, souvent désigné sous le sobriquet de « sang de taureau ». L’autre vedette du terroir, le Tokay ou Tokaji, est un vin blanc de dessert liquoreux originaire du nord-est du pays, à la frontière de la Slovaquie. L’une de ses versions douces, le asszú, est accompagnée d’un chiffre allant d’un à six, soit sa teneur en raisins confits. La Hongrie, c’est aussi pour les amateurs de vin!
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Tout au long du repas, la csárdás, musique gitane enjouée, ajoute sans contredit aux plaisirs des papilles avec l’orchestre du chef Lajos Sárközi qui fait danser les cordes de son violon. Pour accompagnement, rien de mieux que des rétes, version locale des strudels autrichiens, avec ses saveurs de poire et de pomme, de prune et de graines de pavot, ainsi que de fromage blanc et de griottes (cerises aigres). La sélection de ma conjointe, un somlói galuska, petit gâteau rond à la confiture et aux raisins secs recouvert d’un coulis au chocolat et de crème fraîche, mérite aussi sa ferveur populaire, concluant à merveille cette soirée royale.
Repus, nous empruntons de nouveau les rues magiques de cette ville sous les lumières du soir pour regagner notre gîte, beaucoup plus modeste, où nous rêverons de cette existence éphémère, opulente et utopique, mais ô combien agréable!
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